mardi 2 septembre 2008

Straight Pride in America : l’affaire Elliott Chambers

Depuis quelques années, s’organise aux Etats-Unis le mouvement de la Straight Pride : c’est en quelque sorte le coming out de l’hétérosexualité. Des hétérosexuels sortent du placard, et descendent dans la rue pour exprimer leur fierté d’être ce qu’ils sont. La première réaction sera sans doute la dérision. Cette initiative paraîtra saugrenue, ridicule, et même absurde. On se plaira à dénoncer le caractère décidément loufoque des Américains, et on passera à autre chose. Mais cette Pride s’inscrit dans un contexte et dans une histoire, qui méritent d’être retracés. Elle met en jeu des groupes sociaux, des personnalités, des objectifs politiques importants. Au-delà d’elle-même, surtout, elle apparaît comme le symptôme d’une situation nouvelle dans le dispositif socio-sexuel en Occident : bref, cette Straight Pride est un révélateur. Dès lors, allant au-delà de la dérision, l’observateur rigoureux se doit de prendre au sérieux ce phénomène.

Le lancement médiatique du mouvement est lié à l’affaire Elliott Chambers, qui émergea en 2001, au lycée de Woodbury, dans le Minnesota. Un jeune homme de 16 ans, Elliott Chambers, vint en classe avec un T Shirt portant l’inscription « Straight Pride ». Le jeune homme expliqua qu’il entendait réagir à la politique de l’établissement, qui menait des actions en faveur de l’intégration des gais et des lesbiennes. Selon ses propres dires, Elliott n’éprouvait aucune haine vis-à-vis des homosexuels, et s’opposait d’ailleurs à toute violence à leur égard, mais d'après lui, Dieu ne saurait approuver leur style de vie. Plutôt qu’une attaque contre les gais et les lesbiennes, il s’agissait pour lui d’un soutien à la cause hétérosexuelle. Cependant, ce vêtement fut interdit par le principal de l’établissement. Dès lors, l’American Family Association Center for Law intenta un procès au nom du jeune Chambers.

Le juge fédéral rendit son verdict. Selon lui, derrière le message, il y avait sans doute une forme d’intolérance, mais en l’occurrence, aucun élément ne permettait de penser que ce T shirt fût un obstacle à la bonne marche de l’établissement. Dans ces conditions, il n’y avait pas lieu de l’interdire. Cet avis fut considéré comme une victoire par Lana Chambers, la mère d’Elliott : comme elle l’expliqua, plusieurs des amis du jeune homme avaient d’ailleurs commandé un T shirt similaire, et attendaient avec impatience le jour du jugement pour savoir s’ils pourraient le porter eux aussi à l’école. Pour elle, Elliott avait lancé une sorte de mouvement. Elle n’avait peut-être pas tort…

La notion de Straight Pride n’avait pas été inventée par Elliott Chambers, évidemment. Mais ce procès et cette victoire furent ressentis et présentés, non sans raison, comme un moment symbolique, peut-être même comme un moment fondateur. Celles et ceux qui, depuis des années, expliquaient que l’hétérosexualité étaient menacée aux Etats-Unis, menacée par les politiques mises en place par le gouvernement en général, et par l’agenda gai et lesbien en particulier, eurent alors le sentiment que pour la première fois depuis longtemps, le vent avait tourné. Selon eux, l’hétérosexualité était discriminée, et l’affaire Chambers montrait qu’on cherchait même à la censurer, à la bâillonner, à l’interdire ; on lui refusait en tout cas l’accès au 4e amendement de la Constitution, qui protège aux Etats-Unis la liberté d’expression. Mais enfin, l’hétérosexualité avait réussi à faire valoir ses droits.

Stephen Crampton, conseiller en chef du Center for Law qui avait intenté le procès, affirma du reste : « c’est une victoire remarquable pour la liberté d’expression à l’école, et un pas en avant qui permet de mettre en lumière l’hypocrisie de « l’agenda de la tolérance ». Quand le politiquement correct invoque la « tolérance », ils veulent dire en général tolérance seulement pour ceux qui promeuvent des comportements déviants et destructeurs pour la société. Mais la Cour a reconnu que la vraie tolérance signifie tolérance de tous, et pas seulement de quelques-uns. » Ces propos manifestent l’état d’esprit dans lequel se trouvaient les défenseurs de la Straight Pride. Depuis quelques années, et même quelques décennies, ils se sentaient brimés, opprimés, humiliés ; mais ce jugement de la Cour leur redonna espoir. L’affaire ne concernait pas seulement Elliott Chambers, car bien entendu, ce n’était pas seulement une question de T shirt : pour la première fois, la notion de Straight Pride avait été reconnue par la justice américaine. C’était en quelque sorte une révolution, ou plus exactement, une restauration.

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